Essai sur les masculinités queer dans JoJo’s Bizarre Adventure

Arthur
12 min readJan 13, 2019

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Josuke Higashikata, protagoniste de la partie 4 : Diamond Is Unbreakable

Traduit de l’anglais. Pour le post original : https://medium.com/@urbanfriendden/an-essay-about-jojos-bizarre-adventure-and-queer-masculinities-5d3b5f25567b

La première fois que j’ai regardé JoJo’s Bizarre Adventure, en 2012, je n’étais pas encore out. Je voyais ce gentleman bodybuildé de Jonathan Joestar arracher ses vêtements et enfiler des tenues de plus en plus fines et courtes tous les deux épisodes. Je voyais Dio Brando, vampire fabuleux, s’habiller comme un sorcier steampunk débile en même temps qu’il empoisonnait son père d’adoption, le tout avant de rejeter l’idée même d’habiller le haut de son corps (et il y a un moment où il transforme un mec en chien ?). Malgré l’absurdité de la situation, ces deux hommes n’avaient pas peur de pleurer, n’avaient pas peur de se montrer affectueux et même d’avoir peur. Ils étaient les deux biftecks les plus exagérément masculins que j’aie vu et ils avaient des émotions. Puis ils ont diffusé Battle Tendency juste après et Joseph et Caesar portaient des crop tops et du maquillage.

C’était l’année ou j’ai fait mon coming-out bi. Voilà.

Je ne pense pas exagérer en disant que les hommes (et les femmes) dans JoJo, sont masculins de façons non-conformes à la norme. Ils remettent en question les prisons cis-hétérosexuelles dans lesquelles sont enfermées les approches masculines du langage corporel, de la mode et du visuel. A la place, les personnages s’habillent librement, se meuvent de façon théâtrale et posent de façon sensuelle ! Pour moi, en tant qu’homme queer, JoJo est queer d’une façon unique. Mon but ici est d’explorer les causes possibles de cette différence, et les implications qu’elles ont. Je pars du principe que la personne qui me lit : 1) est familière de l’univers de JoJo, ou du moins s’y intéresse ; 2) a un esprit ouvert sur l’idée de “masculinités queer” et 3) n’envisage pas ce point de vue comme une sur-analyse ou un refus de toute autre considération critique sur JoJo.

Plus spécifiquement, la question que je me pose est : “quels chemins empruntés par JoJo’s Bizarre Adventure l’ont conduit à une vision queer des masculinités ?”. Mon but ici est simplement d’essayer d’établir un discours de base sur la question, ce qui signifie que les considérations sur la race, l’ethnicité, ou les femmes peuvent avoir l’air superficielles. C’est pourquoi je suis ouvert à tout ajout, commentaire ou critique, faite pour quelque raison que ce soit !

Avant de commencer : je ne veux pas faire de JJBA une œuvre révolutionnaire d’une quelconque façon. Son aspect visiblement queer découle d’une part de la direction artistique et d’autre part du silence de l’œuvre sur ses propres aspects queer, résultant d’un effet paradoxalement normalisant pour ces aspects. Bien qu’il y ait des personnages ouvertement gay ou bi (DIO, Pucci, Sorbet et Gelato) dans la série, ses approches des masculinités et de ses aspects queer ne sont qu’accidentelles, peut-être précisément car tout ça n’est pas catégorisé comme tel. Ce n’est que du sous-texte !

Les poses

Joseph Joestar et Caesar Zepelli prennent la pose dans la partie 2 : Battle Tendency

Nous connaissons tous l’expression “JoJo pose” comme faisant référence à des postures exagérées, fabuleuses et quasi-impossibles anatomiquement. Une “JoJo pose” est différente d’une pose venant d’une œuvre plus traditionnellement masculine, comme Ken le Survivant ou même Rocky/Rambo. Dans ces œuvres, l’acte de poser implique une monstration du corps en tant qu’arme : sur le point de faire exploser une puissance de feu, un coup de poing dévastateur, un appui sur des points de pression capable de faire exploser un crâne. Une JoJo pose cependant, n’est pratiquement jamais construite comme une chose intimidante. Les personnages ne bougent pas pour inspirer la peur chez les autres ou pour assurer leur position de dominant : seuls les méchants font ça. Ils posent de façon étrange et dérangeante et sont accompagnés par le Katakana signifiant “menaçant”

De fait, une JoJo pose n’instrumentalise pas la masculinité comme une arme, et ce malgré la masse de muscles présente. Le corps masculin est désarmé et contraste ainsi avec la chorégraphie cinématographique habituelle. Plutôt que le point de départ d’une agression, qui va causer un effet de vague, la pose résulte d’une tension narrative qui culmine avec la réaction du personnage. Par exemple, la pose de Caesar et Joseph est, dans l’histoire, une expression de deuil et de colère ! Le meilleur ami de Caesar (littéralement un nazi, oups) vient de se faire tuer par un dieu aztèque bodybuildé. Voyant ça, les deux hommes se mettent directement à poser, comme si c’était une réponse naturelle à cette situation.

Dans la structure narrative classique Péripéties-Acmé-Dénouement, la JoJo pose n’est pas l’acmé. Le moment crucial s’est déjà déroulé quand les personnages prennent la pose. C’est pourquoi je pense que cela fait partie du dénouement. Le message envoyé par le corps est une réponse, une formulation de certaines émotions qui ne sont pas une cause mais ont été causées. Cette narration, transposée sur le corps masculin, devient une monstration expressive d’émotions. Elle est traitée comme un réceptacle passif, incarne une vulnérabilité et une frustration qui n’arrivent à s’exprimer que par la pose. Pour dire cela autrement, les hommes dans JoJo ne jouent pas à être dramatiques, ils sont dramatiques.

La JoJo pose comme outil narratif est moins importante que la JoJo pose comme étalage sexuel. Pour dire ça simplement, qu’est-ce qui fait que les hommes dans JoJo soient si sexy ? Je pense qu’une partie de la réponse se trouve dans le conception des poses elles-mêmes. Ce n’est un secret pour personne : Araki se base sur des photos pour modèle, et cela ne pose aucun problème, mais les poses qu’il choisit ont un effet particulièrement sexualisant sur les corps dessinés.

La pose bien connue de DIO est inspirée par la collection de haute couture de Jean Patou

La pose de droite peut être vue comme féminine, une pose caractérisée par la tentation, la sensualité et le mystère. Avec ses doigts positionnés ainsi, il y a quelque chose qui relève de l’appel, de l’invitation. On peut comprendre ça comme l’objet visuel du désir du male gaze. A bien y regarder, la femme jette un regard par-dessus son épaule en direction du spectateur, comme si elle s’y confrontait. Voir quelqu’un qui se retourne sur vous, particulièrement lorsque vous ne vous y attendez pas(elle a le dos tourné, après tout !), est une rencontre qui relève de la confrontation, et donne une impression de contrôle et de pouvoir d’agir de la part de la femme.

Et donc, que se passe-t-il si l’on applique la pose au méchant de la partie 3, DIO ? d’une certaine façon, il adopte la féminité comme principe chorégraphique tout en conservant la masculinité conventionnelle comme idéal anatomique (je veux dire, regardez-moi ces muscles). Cette façon précise d’érotiser le personnage se fait par le biais d’une sexualité majoritairement féminine. L’idéalisation du corps masculin s’envisage souvent comme torse nu. Mais le simple torse nu ne rend pas un homme sexy pour autant. On peut parler ici de quelque chose qui dépasse ça : la sexualisation explicite du masculin. Un corps masculin est vu au travers d’un prisme féminin, prenant sa place comme objet du Male gaze. DIO devient celui qui est désiré et non pas celui qui désire. C’est extrêmement homo-érotique.

(Il convient de noter que le contrôle sexuel de DIO va bien plus loin que les limites de son propre corps et celui des autres, lui donnant un aspect prédateur, ce qui est regrettable. Nombre des adversaire mineurs de la partie 3 : Stardust Crusaders sont sous son contrôle à cause d’un tentacule organique planté dans leur cerveau, qu’on peut lire comme une participation forcée à sa sexualité. Heureusement, cette érotisme hypnotique est le seul de son genre : un excès et, je pense, l’exception qui confirme la règle)

La mode

Les garçons de la partie 5 : Vento Aureo

Un autre aspect particulièrement important de JJBA est son approche de la mode. Les vêtements sont faits pour être portés, donc les couturiers doivent les projeter sur des corps pendant le processus de fabrication. Depuis le moment où l’idée est conçue, le genre et la forme du corps qui portera le vêtement est supposée. De fait, l’hégémonie des normes de genre dictent quels corps doivent porter quels vêtements ou, formulé différemment, quelles parties d’un corps genré doivent rester couvertes. La mode mainstream adore sexualiser les corps féminins mais aime beaucoup moins (commercialiser) les profondeurs de la sexualité masculine. Elle ne propose pas grand-chose d’autre que des costumes, des jeans et des t-shirts bleu marine avec “Colorado Highway 1988 big stinky burger” imprimé dessus.

Il s’agit de garder en tête qu’il y a 150 ans, les hommes de la bourgeoisie en Europe et aux Etats-Unis portaient des manteaux à plumes, des collants de toutes les couleurs et mettaient des ceintures autour de leurs mollets pour bien montrer leurs belles jambes bien épaisses. Bien que cette mode bourgeoise prenne ses racines dans une volonté de différenciation classiste, il semble que les sociétés de marché contemporaines l’ont remplacé par une différenciation genrée. En effet, et depuis l’invention concomitante de l’hétérosexualité, nous vivons dans une triste réalité où on ne laisse pas les hommes porter des jupes ou être aguicheurs sans être considérés comme féminins, comme si cétait une mauvaise chose. Les hommes cis ne peuvent pas explorer leur féminité à cause de l’homophobie et les hommes trans/ les personnes NB masculines ne peuvent pas non plus à cause de la transphobie.

Heureusement, Jojo est rempli d’hommes tout à fait aguicheurs et d’hommes qui portent des jupes (Amasui). A la manière des poses, les vêtements portés par certains personnages sont des références à des défilés de mode, à des catalogues kink et plus largement à la haute couture. Tout cela se rejoint beaucoup, Araki a même collaboré avec Gucci !

Ces hommes ont des cheveux magnifiques et des vêtements qui ne cachent pas grand-chose. Les matériaux, accessoires, couleurs, et les coupes utilisées suggèrent qu’une flamboyante culture des fétiches a fusionné avec la mode mainstream, qu’une sexualité libérée a gagné contre la honte. Il ne semble y avoir dans toute cette mode aucune honte : il n’y a aucun exemple dans les plus de 30 ans d’histoire qui composent JoJo d’un personnages faisant une remarque sur les choix vestimentaires d’un autre. Même pas comme une raillerie ou une blague, même pas quand Josuke et Okuyasu adaptent leurs uniformes de lycéens à leurs goûts personnels (Josuke y attache des chaines et des cœurs en or et Okuyasu couvre le siens de symboles liés à l’argent)

Rohan Kishibe. De gauche à droite : 1) police de la mode (bureau de l’hétérosexualité) ; 2) s’est pointé au gala de le seul but de se faire sauter ; 3) le mec qui était moche au lycée, qui est hyper beau maintenant et qui flirte à la réunion des anciens élèves ; 4) Le prof d’arts plastiques qui a léché les abdos du David de Michel-Ange pendant le voyage à Florence

JoJo part du principe que la mode joue un rôle prépondérant dans l’expression des genres, et qu’elle est une somme visuelle de la sexualité de quelqu’un. On peut se demander ce qui peut être la “cause” de ces accoutrements. Car pour nous, il s’habillent de façon flamboyante et inhabituelle. Mais s’il y a bel et bien une raison, elle n’a rien à voir avec la fiction. Araki envisage les vêtements comme consubstantiels au personnages et essentiels pour comprendre son identité. On peut lire cela comme une acceptation naturelle de l’exploration du genre et de la diversité sexuelle, quoique spécifiquement orienté vers les masculinités (queer). Les hommes s’habillent de façon si flamboyante et si désespérément unique simplement parce qu’ils y sont autorisés par la reconfiguration de l’espace public opérée dans JoJo. Il n’y a aucun pouvoir hégémonique, institutionnel ou industriel qui decide qu’ils n’ont pas le droit de porter quelque chose comme une chemise remplies de trous avec une cravate qui passe en dessous. Ils disent même l’inverse ! Quand il n’y a rien qui empêche de s’habiller comme ça, évidemment les gens vont commencer à le faire.

Jolyne Kujo

La masculinité érotisée n’est pas quelque chose réservé aux hommes dans JoJo. La partie 6, Stone (butch) Ocean explore aussi cette thématique sauf que cette fois, les personnages principaux sont des lesbiennes criminelles. La protagoniste principale, Jolyne Kujo, est plutôt femme (au sens lesbien du terme), et la féminité de son character-design n’est pas le résultat de conventions. Je vois plus ça comme la continuation du process qui a donné sa sexualité à DIO. Prenant racine dans l’androgynie du glam rock des années 1980, JoJo a adopté une espièglerie similaire dans l’exploration du genre et des sexualités. Mais à l’inverse des aspect liés à la performance et au Showbiz du glam, JoJo se fiche d’émettre une opinion. C’est simplement ainsi que les gens sont autorisés à se comporter, et cela ne donne pas lieu à des paniques sur le genre et de l’homophobie. L’(hyper)masculinité est employée comme une idée malléable et accessible. On pourrait appeler ça le queer gaze, un regard qui objectifie son sujet en tant que partie du désir sexuel, mais qui d’un autre côté n’a aucun a priori sur ce à quoi devraient ressembler un objet de désir ni comment il doit se comporter. C’est un regard qui, à l’inverse du male gaze, rend sujet plus qu’il ne rend objet.

Je pense que l’utilisation par Araki de la haute couture a une autre implication que celles liées au genre. La haute couture, en tant qu’industrie et en tant qu’espace culturel, semble s’être élevée au-dessus du débat public, elle est tellement étrange qu’elle semble incompréhensible pour nous, pauvres mortels. Dans le monde de la mode, on voit tout le temps des vêtements extrêmement étranges : les mannequins portent des robes faites de feuilles, des hommes portent des morceaux de statues et du maquillage à paillettes… des choses que le bas-peuple ne porterait jamais. Ou plutôt n’auront jamais l’occasion de porter, puisque tout cela est enfermé derrière la barrière de prix ridiculement élevés. En voyant des défilés de mode, on voit aussi ce milieu surréaliste, plein d’avant-garde et de décadence expérimentale (ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi), financé par des millionnaires et maintenu par des adeptes de l’abstraction vestimentaire qui voient le corps humain comme la toile d’un peintre et les corps humains des innombrables travailleurs et travailleuses sous leurs ordres comme des outils facilement remplaçables (ce qui est une mauvaise chose en soi). On peut voir ces spectacles à la télévision et sur des posts de blogs, mais dans les faits, qui va à ces évènements ? Les riches, évidemment ! l’industrie de la mode contemporaine est réminiscente de cet exceptionnalisme bourgeois autoproclamé, pendant que les marchés laissent parfois ruisseler une robe ou un bijou avec un prix exorbitant.

Et dans JoJo, quasiment tout le monde porte des vêtements comme ça. À l’exception de Jonathan et Joseph, tous les protagonistes viennent de foyers modestes, et ont été élevés dans la classe moyenne ou populaire. Les garçons de Vento Aureo sont des enfants des rues. La haute couture, vue sous le prisme de la classe, semble avoir été démocratisée ou tout du moins rendue facilement accessible. Les costumes coutant des milliers de dollars et les ajustement tout aussi onéreux qui vont avec semble avoir été rendus accessibles aux personnes touchant des salaires inférieurs à la moyenne. Même les SDF sont habillés de façon hyper cool. A travers la mode, JoJo rend la queerness visible tout en subvertissant, fût-ce en surface, l’image conventionnelle des personnes pauvres.

Conclusion

Johnny Joestar, protagoniste de la partie 7 : Steel Ball Run. Remarquez comment l’espace entre ses doigts attire l’attention sur son entrejambe

Les macsulinités dans JoJo ont évolué en même temps que la série. Les parties 1 à 3, très inspirées par ken le survivant et la mode du bodybuidling et de la fitness des années 1980, ne montraient que des corps très baraqués et musclés. Jonathan et Dio Brando, Joseph et les pillar men, Jotaro et DIO, tous étaient énormes. Les parties 4 et 5 avaient pour protagonistes des hommes plus fins, plus tempérés, plus apprétés et plus mignons. Ayant glissé du côté le plus féminin du spectre, la partie 6 consituait pour Araki une première tentative de mettre des femmes sur le devant de la scène. Tout ça lui a fait peur donc pour les parties 7 et 8, il est revenu à des hommes féminins, avec Johnny Joestar en wobay gay et handicapé et le deuxième Josuke en petit marin mignon, et sans le doute le premier personnage de l’histoire à canoniquement posséder quatre testicules.

Si vous êtes un personne queer qui a du mal avec sa masculinité, parce que vous pensez que c’est quelque chose à refréner pour être pleinement queer, tout mon soutien. Il est difficile de se présenter comme masculin d’une façon qui ne puisse pas être vue comme intimidante. Mais s’il y a une chose à retirer de JoJo’s Bizarre Adventure, c’est qu’être queer est tout à fait compatible avec la masculinité. L’œuvre nous en montre une version épurée de sa toxicité, de sa compétitivité violente, et qui ne nous force à cacher qui nous sommes. Si vous avez accès à des espaces similaire à ceux présentés dans JoJo, cela ne vous fera pas de mal de faire d’expérimenter, du moment que vous ne finissez pas en faisant du mal, à vous ou à qui que ce soit d’autre. Dans tous les cas, ce sera queer.

Alors prenez un pose fabuleuse et soyez qui vous voulez être !

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